François Durafour
Né le 27 novembre 1888 à Genève, François Durafour fut employé chez Sécheron S.A. après un apprentissage de mécanicien. Un jour, âgé de 22 ans tout juste et parti à l'aventure « vers l'ouest », il a fini par « atterrir » chez Deperdussin, en France. Et comme après seulement quelques jours, il était parvenu à ramener sans dommages le monoplace propre de l'usine, sa formation d'aviateur fut considérée comme terminée. Aux commandes d'un Hanriot plus robuste, le 11 novembre 1910, Durafour fut ensuite le troisième « Helvète » à décrocher son brevet. Avec son vol réussi à 600 mètres au-dessus de la ville de Reims, environ six mois plus tard, il entra dans la « corporation » élitaire des pilotes suisses accomplis. Après quelques mois passés comme formateur chez Deperdussin, il fut promu chef instructeur de vol dans l'école de pilotage nouvellement fondée à Avenches. C'est avec un biplan Dufaux de 50 CV que Durafour mit le vol à la portée des jeunes Romands. Et constamment, notre infatigable aviateur faisait les gros titres : effectuant le 8 juillet 1911 un vol au-dessus du lac de Neuchâtel, puis un vol de distance Avenches-Genève une semaine plus tard, et décrochant le record suisse d'altitude le 24 septembre, en atteignant une hauteur de 950 mètres.
Au-delà des océans
En plein milieu de cette « success story » se présenta une offre alléchante : Durafour et son ami Paul Wyss (brevet n° 8) s'associèrent à un groupe de spectacle quelque peu douteux, qui entendait présenter l'art du vol dans les républiques d'Amérique Centrale et du Sud, et empocher ce faisant de coquets bénéfices. Et le 26 janvier 1912, un vapeur levait l'ancre à Anvers, avec nos deux Genevois et leurs aéroplanes démontés à son bord. Après une tempétueuse traversée de l'Atlantique de près d'un mois, ils accostèrent à Porto Barios, un port du Guatemala. Dès le lendemain, ayant réassemblé son Deperdussin, Durafour fut le premier à s'élancer dans les cieux guatémaltèques aux commandes d'un engin motorisé. L'enthousiasme fut tel que Manuel Estrada, président de la République, le gratifia spontanément d'un chèque d'une valeur de 5000 francs. Ainsi consolidé financièrement, le groupe de spectacle déplaça son champ d'activités au Salvador voisin. Dans ce pays aussi, nos « aventuriers des airs » furent récompensés par l'allégresse des foules et une médaille d'or. « Néanmoins », raconta Durafour quarante ans plus tard, « notre entreprise vacillante fit bientôt faillite, et mes liquidités fondirent comme neige au soleil. » Il réussit quand même à arriver jusqu'à New York. Il put y garder « la tête hors de l'eau » grâce à des vols-spectacles et des essais d'un nouvel appareil sans valeur. Au terme de ses aventures transatlantiques, la chance fut à ses côtés. Alors qu'il survolait encore une fois les toits de la mégapole, son moteur se mit à tousser au-dessus de Broadway. Sans causer de dommages, il parvint à atterrir « comme une fleur », bien qu'en urgence, à proximité immédiate d'un parc d'attractions archicomble.
L'appel du Mont-Blanc
De retour au pays, Durafour fut de nouveau récupéré par le « cirque aérien » helvétique (Der Bund). Vols de distance et de durée, vols avec passagers et vols d'altitude, s'enchaînèrent sans interruption. Il pilota des monoplans Deperdussin et Blériot, des biplans Dufaux, Farman et Caudron – bref, tout ce qui avait des ailes. En 1914, pour réceptionner les avions militaires L.V.G. commandés par la Confédération en Allemagne, il se rendit en vain à Berlin. La même année, il se porta volontaire pour intégrer les Troupes d'aviation nouvellement crées. On le retrouva plus tard en France où, étant l'unique fonctionnaire étranger chargé des inspections employé par l'armée française, il allait tester une centaine d'avions de diverses marques. Il y survécut à deux chutes, bien que grièvement blessé. Après la guerre, le 1er juillet 1919, Durafour ouvrit (comme pilote de ligne de la compagnie fondée par ses soins) la route Genève-Paris, première ligne aérienne reliant la Suisse à l'étranger. Auparavant déjà, au fil de ses vols presque quotidiens, Durafour se sentait de plus en plus attiré par un objectif des plus tentants : le massif du Mont-Blanc, « toit de l'Europe ». Le 30 juillet 1921, il finit par céder à cet appel. Ayant rempli à ras bord les réservoirs de son biplan Caudron et vérifié toutes ses parties mobiles, c'est avec une belle assurance qu'il s'assit derrière le manche à balai. Il décolla à 6 heures 10 du matin de Lausanne-Blécherette, remonta le lac Léman pour s'enfiler dans la basse vallée du Rhône, et se posa 55 minutes plus tard sur les névés compacts du Dôme du Goûter, à 4331 mètres d'altitude. Ainsi François Durafour fut-il le premier aviateur du monde ayant atterri dans la neige à une telle hauteur, en en redécollant ensuite. Les années passant, le calme retomba autour du pilote genevois. En 1962, alors que le tonnerre des jets résonnait depuis longtemps déjà au-dessus de nos têtes, Durafour fut rattrapé par un demi-siècle d'histoire : le gouvernement guatémaltèque l'avait invité à participer, comme hôte d'honneur, au 50e anniversaire du premier vol effectué dans son pays. Cinq ans après ce dernier hommage, le 15 mars 1967, François Durafour décédait à 79 ans : un âge rarement atteint par les aviateurs de la première heure. Il avait passé 3263 heures de sa vie dans les airs.
(Texte intégral de Otto Britschgi. AeroRevue 02/2008.)